Les souvenirs de Maximilien Vox

Sous le pseudonyme de Maximilien Vox se cache Samuel William Théodore Monod, frère aîné de Théodore Monod, graveur, dessinateur, éditeur, journaliste, critique d’art, spécialiste mondialement reconnu de la typographie française.

Maximilien Vox et ses caractères

Ce témoignage affectueux d’un grand frère a été publié dans le livre « Théodore Monod, une vie de Saharien »

ENTRE  DEUX OCÉANS

Il y a trente ans, un matin de décembre 1922, débarquait à Nouadhibou en Mau­ritanie, c’ est-à-dire à Port-Étienne, un jeune assistant au Muséum d’histoire naturelle, délégué par le professeur Gruvel, de la chaire des Pêches coloniales, avec mission d’é­tudier les poissons et leur pêche.

« Sinistre pays, écrivait l’océanographe de vingt ans; le premier arbre, un acacia, est à quarante-cinq kilomètres d’ici. La terre, nettoyée, décharnée jusqu’à l’os, pulvé­risée au souffle des siècles, est morte. Au long des plages claires, des hommes se cram­ponnent à la carcasse de cette terre qui meurt. Le ciel demeure l’ élément mobile et changeant, la vie qui console de tant de néant. »

Les compagnons d’exil du «Théo» de ces temps-là se souviennent d’un grand garçon taciturne , aux yeux noirs brûlant de vie intérieure dans un visage d’une précoce austérité ; avec, dans son comportement, ce quelque chose de mi-livresque, mi-sportif qui est en réalité l’allure du moine-soldat. [… ]

Théo ne faisait rien comme tout le monde, on  ne  tarda  pas à  le remarquer.  Brun, il lui poussait une barbe rouge. Il ne buvait que du thé, et son livre de chevet était une grammaire tibétaine (on ne sait jamais…). Visiblement, bien que classé navigateur; il avait le coup de foudre pour le désert.

« Je travaille face à l’océan, auquel je suis promis,  et,  déjà, livré.  Mais je suis adossé à une autre mer; sur laquelle je n’ai pas le droit de m’embarquer encore, mais que cependant je regarde parfois à la dérobée par-dessus l’épaule. L’ourlet d’écume qui frange la baie du Lévrier est la ligne ténue séparant deux océans, celui de l’eau et celui  des sables, l’Atlantique du Sahara. L’équilibre, sur cette mince cloison, est instable : de quel côté vais-je tomber ? »

L’occasion se présenta, le 15 octobre 1923, de regagner le Sénégal par voie de terre, à dos de chameau. Elle fut accueillie avec délivrance.

MONOD  LE FOU

L’Afrique comptait un méhariste de plus : Monod le Saharien était né, ou plutôt, comme on ne tarda pas à l’appeler du Hoggar au Niger et de l’Adrar au Tanezrouft, Monod le Fou, surnom qu’il porta longtemps parmi les gens de la piste et les hommes du bled, pour son habitude d’aller tout seul  où personne  n’était jamais allé, à la merci du banal accident qui vous condamne, comme il dit en termes professionnels, « à subir les effets de l’insuffisance d’hydratation ».

Tel il était alors, tel le connaissent aujourd’hui ceux qui parviennent à l’approcher: Infatigable  au  physique comme au moral; dur à soi-même, aux autres débonnaire; un de ces scientifiques qui en remontrent aux athlètes et aux militaires, d’ une curiosité d’es ­prit universelle et d’un appétit encyclopédique, puritain plein d’humour; avec, déià, ces qualités de chef et de compagnon qu’une génération d’Africains a appris à  rechercher – et à aimer. Les élèves de Laperrine, les disciples du père de Foucauld  eurent tout  de suite un coin de tendresse de cœur pour ce nouveau venu en qui ordait une si évidente vocation.

Dorénavant, Monod donnera une doublure à son activité d’océanographe qui est considérable et efficace, qui le mènera dès quarante ans à ce couronnement de  carrière qu’est le titre de professeur au Muséum, avec la chaire  des Pêches coloniales.  Il se donne pour mission la connaissance totale du Sahara –  géologie,  géographie,  bio­logie animale et végétale, histoire, ethnologie, sociologie, arts, religion – et plaide, non sons candeur, les circonstances atténuantes…

« J’ai cédé et, si c’est une faute, sans trop de remords je le confesse, à des fasci­nations successives, à des tentations qui me trouvaient désarmé, aux incitations, cou­pables peut-être mais triomphantes, d’une inlassable, d’une insatiable curiosité. Je n’ignore pas ce qu’une carrière de cette sorte peut avoir, en quelque sorte, d’inusité, voire d’insolite; je ne puis que constater après l’avoir subi, ce caractère inattendu d’un destin à bien des égards exceptionnel, et, corrélativement, solitaire. »

Ne va-t-il  pas au devant, aussi, de la victoire sur soi-même,  de cet ascétisme discipliné et rationnel qui lui tient au cœur comme une sauvage poésie ? Un jour, les antho­logies recueilleront les pages où le Saharien Monod est sur le point de livrer son secret… Le voici découvert enfin, ce petit paradis d’un soir. On presse l’allure pour les der­niers pas et puis c’est tout soudain l’arrêt, le baraquage: après la longue journée, sa chaleur, ses misères, voici le grand apaisement. La courbe s’élève brusquement, presque verticalement. La bonace après la tempête n’est pas accueillie avec plus de fer­veur par le marin que par le méhariste, l’arrivée ou port de l’étape.

«  Voici, jaillissant  dans la nuit, la  fleur éclatante  du  feu, la claire  flamme du bois d’acacia, sur laquelle ronronne le chaudron. La petite troupe errante, rassasiée, va sombrer dans le sommeil, littéralement abolie : qui distinguerait maintenant les hommes des charges, dans ces formes indécises écroulées en désordre sur le sable ?

« Serais-je le seul vivant au cœur de ce monde pétrifié ? Seul à écouter siffler l’aigre vent dans les branches du buisson devenu pour une nuitée ma maison ? Seul à regarder rougeoyer et mourir la braise, dernier signe d’une présence humaine ? Seul à suivre la course silencieuse des constellations du ciel et des gerbilles sur le sable ? Seul à respirer, porté par la brise, le parfum sucré des mimosas ? Seul à guetter les premiers signes avant-coureurs de l’aube et l’heure de ce cri que je vois pousser et qui, ressus­citant mon camp endormi, le précipitera dons une nouvelle et identique étape?»

Il faut l’avoir vu revenir d’expédition, tondu, endurci et brûlé comme un chame ­lier, porteur d’un singe rouge et de mangeailles malodorantes qu’il ingurgite avec ostentation, et dédaigneux du bien-être civilisé jusqu’à ne pouvoir dormir, prétend-il, que sur la descente de lit… Et, dès le premier jour, horrifier son personnel en donnant l’exemple de venir au laboratoire à cinq heures du matin !

L’EXPLORATION : UN MÉTIER DE SAVANT

Avant de fonder l’IFAN, il l’a vécu dans sa chair et dans sa pensée . Pas un homme moderne n’avait à ce point cherché à comprendre l’Afrique pour elle-même. Comme une patrie. Comme un amour.

Nous voici loin des fantaisies… ou des combines, qui discréditent trop facilement auiourd’hui le titre prodigué d’explorateur. Selon Monod, c’est un métier, comme la médecine en est un pour le docteur Schweitzer : « Au sens classique, et demeuré popu­laire, du mot, l’exploration, à peu près partout, et en tous les cas en Afrique, est ter­minée. L’exploration, c’est largement, au microscope qu’elle se fait auiourd’hui… Simple question d’échelle et de vocabulaire. Ce qui est certain, c’est que l’exploration de type traditionnel, à la Mungo Park ou à la René Caillié, celle du voyageur, est morte. Mais une autre commence, qui ne  sera jamais terminée, celle du savant: l’explorateur,  à moins qu’il ne travaille pour la presse hebdomadaire, ce sera désormais le géologue, le botaniste, l’archéologue. » [… ]

Un personnage, en somme, qu’eût apprécié  Kipling; rapprochement  qui s’impose à lire certaines pages, à voir certains dessins d’illustration de Monod le Fou, en qui le savant et le bâtisseur ont à soutenir la constante émulation de I’écrivain et de l’artiste. Pour le grand bien de l’un et de l’autre. Ce qui rend si attachante la personnalité d’un Monod, si proche, si « normative », c’est le refus de refuser; c’est le ferme propos de cultiver en soi la totalité de ses facultés. [. .. ]

MONOD  LE CROYANT

Ne pas s’y tromper : pareille inspiration ne va pas sans une foi profonde.Théo­dore Monod, agnostique par certains côtés, est cependant un croyant. Comme tel, l’Afrique spirituelle éveille en lui d’incalculables résonances. « Il faut, pour pouvoir s’unir, se savoir et se vouloir distincts. » Telle est la pensée dont s’inspire son remar­quable ouvrage de synthèse, Le M onde noir. […]

Qui sait si sa trop vieille Europe ne découvrira pas un iour, dans un confiant tête­-à-tête avec d’autres cultures appartenant à des familles spirituelles différentes, dans un dialogue tranquille laissant de côté tout l’accessoire de la forme pour atteindre, en profondeur, à l’unum necessarium, le sens de la totalité, la fascination d’un Cosmos où choses et êtres ne se perdent que pour se retrouver, la plénitude d’une Unité où l’homme, avec le reste, se réalise et s’achève en quelque chose qui le dépasse.

Quelque chose qui a bien des noms, car : « Aristote, se plaisait à dire le cheikh Benalioua, conçoit Dieu comme la Pensée ; la rose l’imagine comme un Parfum : tous deux ont raison… » Et le vieux Sage souriait car, musulman, il savait que Dieu est un.

Samuel William Théodore Monod, frère de Théodore Monod, alias Maximilien Vox

Comme Théodore, son frère et son neveu Fabien ne manquaient pas d’humour, comme le montre cette photo où les « sales cons » en prennent pour leur grade…

Une réflexion sur « Les souvenirs de Maximilien Vox »

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